Histoires cachées : Le mouvement JOC en République démocratique allemande

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Les dossiers concernant la JOC en République démocratique allemande sont aujourd'hui conservés en toute sécurité au KADOC

Nous avons tous en mémoire les images d'Allemands brandissant des marteaux et des burins pour abattre le mur qui les séparait les uns des autres. Il y a 32 ans jour pour jour, le 9 novembre 1989, le Mur de Berlin tombait. Non seulement cela mettait fin à la partition de Berlin, mais cela déclenchait également l'effondrement du bloc de l'Est et signifiait la fin de la Guerre froide qui avait divisé l'Europe et le monde pendant les quatre décennies précédentes. L'importance historique de cette journée ne saurait être exagérée.

C'est pourquoi l’occasion est idéale aujourd'hui de parler d'une découverte intrigante dans les archives de la JOCI. Parmi les nombreuses boîtes contenant des dossiers par pays, nous sommes tombés sur deux boîtes qui portaient l’inscription « Allemagne de l'Est ». Ces boîtes étaient remplies de documents manuscrits, souvent des listes de membres ou des rapports très concis. Quelle était l'histoire de ces documents ? Y avait-il une JOC en République démocratique allemande ? Et, si c'était le cas, comment les boîtes d'archives sont-elles arrivées en toute sécurité à Bruxelles ?

Avec l'aide de la JOC allemande et de Bernhard Bormann, nous avons pu contacter Norbert Kollenda (°1941), qui sait tout sur ces documents d'archives intrigants. Il était le seul dirigeant à plein temps des Junge Christlichen Werktätigen (Jeunes travailleurs chrétiens) en République démocratique allemande de 1970 à 1981. À partir de 1969, Norbert a été chargé par la JOCI d'explorer les possibilités d'expansion de la JOC dans d'autres pays socialistes tels que la Tchécoslovaquie et la Pologne. Lorsque nous l'avons contacté, il était très désireux de répondre à nos questions. Nous le remercions vivement pour la courte interview qui suit.

Portrait

Norbert Kollenda, unique responsable plein temps des Jünge Christliche Werktätige

S:        Pouvez-vous nous dire à quoi ressemblaient les JCW en RDA ? Comment se sont-ils adaptés à la vie sous le régime et comment le mouvement a-t-il fini par être interdit ?

N:        À l'exception de deux petites régions, la RDA était une diaspora. En 1970, par exemple, 10 % de tous les nouveau-nés de Leipzig étaient baptisés. Les pasteurs veillaient à ce que l'on ne fasse pas fuir les jeunes. En outre, il n'y avait pratiquement pas de jeunes apprentis ou ouvriers dans les paroisses - et cela valait aussi pour les congrégations protestantes. Même si les croyants n'avaient généralement pas la possibilité d'obtenir leur diplôme de l’enseignement secondaire et de poursuivre leurs études, c’est surtout dans les paroisses que nous avons rencontré des écoliers et des étudiants. (Merkel, en tant que fille de pasteur, a également pu étudier !) Nous avons pu former des petits groupes en divers endroits grâce aux contacts dans les congrégations, grâce aux prêtres, au bouche à oreille, aux camps d'été et aux week-ends organisés dans les centres de jeunesse des églises. Nous avons également essayé d'être actifs dans les zones métropolitaines. Les jeunes se réunissaient régulièrement à la maison pour travailler selon les méthodes de la JOC. Il était clair pour nous que nous étions ciblés par la Stasi et, d'autre part, que la plupart des évêques ne nous aimaient pas.

Au départ, même si l'Église catholique de RDA était farouchement opposée au régime, elle s'arrangeait avec lui en coulisse. L'État et la Sécurité de l'État de la RDA ont servi l'Église pour discipliner les théologiens et les groupes qui lui déplaisaient. « Ils » - c'est-à-dire un monseigneur - évoquaient toujours des négociations secrètes avec l'État. Cela a même été jusqu'à l'interdiction d'un groupe de solidarité avec l'aide de la Stasi. La conférence épiscopale de RDA a interdit les JCW en 1980 - de manière « diplomatique », bien sûr.

Norbert

Camp d'été en 1979, Norbert à droite

S:        En traitant les archives de la JOCI au KADOC, je suis tombé sur deux boîtes d'archives de la RDA. Pouvez-vous m'en dire plus sur la manière dont les documents de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne étaient conservés en RDA et comment vous avez finalement acheminé ces boîtes à Bruxelles ? Y a-t-il d'autres documents qui ont été confisqués et qui ne sont pas parvenus à l'Ouest ?

N:        En fait, nous conservions le moins de dossiers possible. Je faisais partie de l'oratoire de St. Philippe Neri à Leipzig et là, au bureau du presbytère, les dossiers étaient relativement en sécurité. Après l'interdiction, j'ai entreposé les dossiers brièvement à Berlin chez mon collègue protestant. Après 1990, il s'est avéré que ce collègue était un espion de la Stasi (collaborateur informel). Je ne peux pas dire avec certitude s'il a perdu le dossier contenant la correspondance officielle avec les évêques et les autorités ecclésiastiques. Pendant toutes ces années jusqu'en 1991, les dossiers de Leipzig étaient cachés sur le toit de l'église. Un jour, il y a eu une action avec Marlyse et d'autres personnes, et j'ai amené les dossiers à Bruxelles.

S:        Comment avez-vous personnellement vécu le régime lorsque vous étiez membre de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne ? Votre travail impliquait-il des risques personnels importants ? Avez-vous entretenu des contacts qui étaient en fait interdits? Avec l'Occident ou avec la JOCI, par exemple ?

N:        Lorsque j'ai assumé le travail, j'ai mis fin à certaines correspondances personnelles à l'Ouest, je ne voulais pas livrer de « rapports » pour la Stasi. Jusqu'en 1969, nous avons eu des contacts réguliers avec la direction nationale à Essen. Le successeur d'Arnold Willibald en tant qu'aumônier national était un certain Höfels qui nous a fait intervenir politiquement dans des réunions en République fédérale. Cela nous a amenés à rompre nos contacts avec la direction nationale allemande. Les contacts se faisaient alors par le biais de personnes individuelles à Bruxelles. Berlin, où vivaient mes parents, était une bonne occasion de se rencontrer.

KGB

Ce rapport montre que la JOC était dans la ligne de mire des services secrets

Ce n'est qu'après l'interdiction de travailler que j'ai eu directement affaire avec la Sécurité de l'État. J'ai fait ce que je recommandais aux jeunes : ne pas se taire, mais le dire à tout le monde, puis les laisser partir. Il était clair pour moi qu'après l’arrêt de mon travail, je serais confronté à des problèmes professionnels, et ils revenaient sans cesse. J'ai même été au chômage pendant quelques semaines et je ne pouvais pas travailler comme hygiéniste au ministère de la santé, alors j'ai travaillé comme infirmier en psychiatrie.

S:        Vous étiez également responsable des initiatives visant à étendre la JOC en Europe de l'Est. Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet ? Des difficultés majeures se sont-elles posées ?

N:        Par exemple, ce n’est que lors de la création de la Fondation Cardijn que j'ai découvert en 2000 qu'il y avait une JOC en Tchécoslovaquie avant 1945 et que ses membres avaient été emprisonnés après 1948. Je les ai alors contactés. Nous avons établi les premiers contacts dans le cadre de nos camps d'été et mon prédécesseur, le pasteur Georg Kirch, avait déjà établi des contacts en Pologne. Il y avait des groupes JOC en Haute-Silésie et je me suis concentré sur la Pologne parce que je parle la langue. Il y avait aussi des contacts en Tchécoslovaquie, mais j'étais alors plus à même de soutenir des personnes de l'église clandestine qui connaissaient toutes la méthode JOC. Mais en Tchécoslovaquie, l'église était soumise à des contrôles massifs.

Georg Kirch

Camp d'été en RDA avec le Pasteur Georg Kirch en 1969

En Pologne, l'église est très cléricale, et cela se traduit principalement par la célébration des sacrements de manière très pompeuse. Marcel Uylenbroeck voulait soutenir la cause et espérait fixer le cap grâce à son amitié avec l'archevêque de Cracovie, Wojtyła. Au bout d'un moment, j'ai eu sa réponse, m’informant que ce n’était pas possible en Pologne. (Je dois dire qu'un pasteur d'une ville industrielle près de Cracovie m'avait confié qu'il n'avait pas non plus réussi à convaincre l’évêque qu'une pastorale différente s’avérait nécessaire. Il n'est pas étonnant qu'une fois devenu pape, il ait également nié les différentes réalités.) J'avais beaucoup de contacts en Pologne. Lorsque les premiers groupes de jeunes de petites villes de Pologne sont venus travailler en RDA en 1970, j'ai noué des liens et j'ai essayé de travailler avec eux dans l'esprit de la JOC. Mais 90% des jeunes se désintéressaient de ce qu'était l'église. J'ai aussi été suivi par un homme de la Stasi polonaise et l'un d'eux a même pris la direction d'un dortoir d'ouvriers - à cause de moi, m'a-t-il raconté.

En Haute-Silésie, les groupes JOC ont été mis à l'épreuve, puis interdits. On a découvert que ces groupes n'avaient pas l'autorisation des évêques. Des prêtres ont également fait des déclarations discriminatoires sur les tendances politiques hostiles de la JOC. Le secrétaire du parti à la tête des opérations et son brigadier les ont protégés autant que possible et, par exemple, les ont avertis lorsque leur appartement a été mis sur écoute. Mon séjour en Pologne devait être signalé lorsque je traversais la frontière.

Summer Camp

Camp d'été dans le sud-est de la Pologne avec des groupes polonais

S:        Une dernière question. Selon vous, quel impact l'existence sous le communisme a-t-elle eu sur le mouvement JOC en général ? A-t-elle façonné le mouvement d'aujourd'hui (tant au niveau national qu'international) ?

N:        À mon avis, lorsque l'on construit une JOC dans les pays, il faut inclure les migrants qui parlent la langue nationale. Les personnes auxquelles nous voulons nous adresser plus particulièrement ne sont pas nécessairement celles qui parlent couramment l'anglais.

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